Elles ont changé l’histoire de l’informatique (et l’histoire tout court). Nous voulons parler de ces femmes incroyables, qui ont chacune grandement contribué au monde tel que nous le connaissons actuellement.

Afin d’aborder leurs parcours respectifs avec un maximum de détails, nous avons choisi de rédiger une mini-série.

Si vous souhaitez découvrir notre première édition, c’est ici : Ces femmes de l’informatique qui ont marqué l’histoire | Partie I.

1/ Celle qui a permis les premiers pas de l’Homme sur la Lune

Margaret Hamilton (1936)
Margaret Hamilton (1936)

Et pour un début de série, on attaque fort ! Saviez-vous que derrière les premiers pas de l’Homme sur la Lune (mission Apollo 11) se cache une brillante femme ?

Il était impossible de passer à côté de Margaret Hamilton, une figure ayant fortement contribué au succès de cette mission.
Neil Amstrong et Buzz Aldrin n’auraient peut-être pas marché sur la Lune si elle n’avait pas été là.

C’est en 1936 que naît Margaret Hamilton aux Etats-Unis. Elle développe très tôt une passion prononcée pour les mathématiques.

Tout juste âgée de 22 ans, elle obtient son diplôme de mathématiques et commence à enseigner.

En s’orientant vers l’enseignement, elle souhaitait attendre que son mari (James Hamilton) obtienne son diplôme pour ensuite, à son tour, retourner sur les bancs de l’école.

MIT et bizutage 🤦‍♀️

En 1960, Margaret s’éloigne de l’enseignement pour la programmation en intégrant le prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology).
Son poste ? Développer les programmes pour la prévision météorologique.

En 1961, elle change d’emploi et se retrouve à travailler sur des systèmes informatiques de défense antimissile pour le projet militaire SAGE (Semi-Automatic Ground Environment). Ce système est connu pour avoir été l’un des premiers systèmes informatiques de défense antimissile de l’histoire.

Margaret étant nouvelle sur le projet, elle subit malheureusement un certain bizutage.

En effet, lorsqu’une personne rejoignait l’organisation, les camarades assignaient aux nouveaux des programmes complexes, que personne n’arrivait à faire fonctionner.

Le programme attribué à Margaret contenait la totalité de ses commentaires en… grec et en latin. 🤯
Mais ses connaissances lui ont permis de faire fonctionner ce fameux programme « piégé » qui jusqu’alors, n’avait jamais été mis en route.

Ce fut donc étonnamment à cause de ce bizutage que Margaret fut recrutée pour travailler sur un projet de la NASA.

Projet Apollo

Alors, elle intègre en 1963 le laboratoire Draper de MIT, pour travailler sur la conception de systèmes embarqués dans les vaisseaux spatiaux pour le programme Apollo.

Les logiciels devaient servir à la navigation ainsi qu’à l’atterrissage des vaisseaux sur la Lune.

Margaret est vite devenue responsable de l’équipe chargée de ce développement.

Ce projet la passionnait tellement qu’elle venait travailler avec sa fille, tout juste âgée de 4 ans.

Cette dévotion à son travail et le fait que Margaret conciliait sa vie professionnelle avec sa vie de maman, lui a valu de nombreuses critiques. Il était extrêmement rare à cette époque, de voir des femmes travailler dans des secteurs aussi pointus. D’autant plus si elles étaient mères.

L’erreur P01 ☄️

Lauren, la fille de Margaret, avait pour habitude de s’occuper avec le simulateur d’atterrissage lorsque sa mère l’emmenait sur son lieu de travail, le soir ou le week-end.

Un jour, en jouant à l’astronaute et en cliquant un peu partout, l’enfant a fait crasher le programme. L’erreur provenait du programme P01 qu’elle avait sélectionné durant la phase de vol, ce qui ne devait normalement pas être possible.

Le module P01 concerne l’atterrissage de l’appareil.

C’est comme ça qu’une « faille » fut découverte dans le programme, lorsque sa propre fille jouait avec les programmes de simulation.

Un message d’erreur est apparu lorsqu’elle jouait, en sélectionnant par erreur le « P01 »

Dans le code disponible au public ici, on peut d’ailleurs retrouver une certaine ligne de code, faisant référence à cet incident.

# 01521 * P01 ILLEGALLY SELECTED

Ligne de code Apollo11

Constat et réparation

Avec cet incident, Margaret a pris conscience de la problématique autour de ce module. Elle a rapidement informé ses supérieurs qui n’ont pas cru possible cette erreur. Pour eux, il était impossible que cela arrive car leurs astronautes étaient super bien entraînés.

Ironie du sort, quand on sait que cette erreur s’est produite lors de la mission suivante, Apollo 8. En plein vol, P01 fut sélectionné et le logiciel crasha.

Durant plusieurs heures, Hamilton et son équipe ont travaillé à fixer cette erreur, avec succès.

Un petit pas pour l’Homme… 🧑‍🚀

Les expériences menées et les erreurs passées permettent à Hamilton de développer un système de priorisation des tâches.

Désormais, le programme est capable de prioriser ses tâches.

Le 20 juillet 1969 (ou 21 juillet, heure française), les alarmes se déclenchent 3 minutes avant l’atterrissage présumé du module sur la Lune.

L’ordinateur Apollo Guidance Computer (AGC) subit une surcharge de travail contradictoire et se trouve dans l’incapacité de traiter toutes les données en même temps.

Grâce à l’anticipation de l’équipe d’Hamilton et à la qualité de leurs travaux, le programme développé chargé d’attribuer des priorités au programme, permet de mener à bien la mission en interrompant les tâches moins prioritaires au profit de celles essentielles à l’alunissage.

En 2016, le président des Etats-Unis en place, Barack Obama, décora alors Margaret de la médaille présidentielle de la Liberté.
Le président dira d’elle qu’elle :

« Symbolise cette génération de femmes méconnues qui ont permis d’envoyer l’homme dans l’espace ».

Barack Obama, 2016

2/ Une guerre raccourcie grâce à cette femme

Dorothy Du Boisson (1929 - 2013)
Dorothy Du Boisson (1929 – 2013)

Pour notre deuxième histoire, rendez-vous en Angleterre, durant la Seconde Guerre Mondiale, pour aller à la rencontre de Dorothy Du Boisson.

Si je vous disais que cette femme a probablement raccourci la guerre de deux années ?

Née en 1929, Dorothy du Boisson était briseuse de code à Bletchley Park en Angleterre.

Nous n’avons pas plus de détail concernant l’enfance de Dorothy. Tout ce que nous savons concerne surtout sa vie adulte, et plus précisément, sa vie professionnelle.

WRNS et décodage

Dorothy Du Boisson a travaillé au sein du WRNS (Women’s Royal Naval Service) durant la Seconde Guerre Mondiale. Elle était briseuse de code. Les briseurs de code travaillaient sur le déchiffrage de communications afin de déjouer les offensives ennemies.

Le WRNS était basé à Bletchley Park, qui abritait également la Government Code and Cypher School (GC&CS). Plus tard, en 1946, il fut renommé en Government Communications Headquarters (GCHQ).

Cette organisation travaillait à la compréhension de la machine Enigma et des chiffres de Lorenz.

La machine de Lorenz était une machine de haute technologie créée par les Allemands dans le but de chiffrer les communications militaires de grande importance lors de la Seconde Guerre Mondiale. Elle était surnommée « Tunny » par les Britanniques.

Contrairement à la machine Enigma, celle-ci n’avait besoin que d’un seul opérateur (alors qu’il en faillait 3 pour Enigma).

Les équipes en place cherchaient à interpréter les transmissions émises par les ennemis afin d’anticiper leurs décisions.

Accompagnée de ses coéquipiers, Dorothy faisait partie des 4 personnes chargées de comprendre le fonctionnement de ces machines et notamment la machine de Lorenz.

Une histoire de machines

Une fois que les transmissions « Tunny » étaient interceptées à Knockholt, dans le Kent, elles étaient envoyées à Bletchley Park pour que le WRNS les déchiffre.

Afin de pouvoir comprendre ces données, les Britanniques ont utilisé plusieurs machines. La première, livrée à la GCHQ, fut la machine Heath Robinson.

Malgré son utilité, la machine s’est avérée être un peu lente, ce qui poussa l’équipe en place à développer la série Colossus.

L’équipe WRNS travailla alors sur la création et le fonctionnement de ces machines avec l’ingénieur Thomas Flowers. C’est ainsi que le Colossus Mark I (rendu opérationnel en décembre 1943), ainsi que le Colossus Mark II (rendu opérationnel en juin 1944) furent créés.

Lorsque ces machines furent développées, elles faisaient partie des machines de déchiffrement les plus difficiles à comprendre.

Dorothy faisait partie des rares opérateurs en capacité de les comprendre et de les utiliser.

Travaux pratiques

Il fallait faire passer des bandes dans la machine, après avoir réalisé tout un travail minutieux d’assemblage. Elle savait parfaitement combien de temps le processus devait durer.

En revanche l’une des principales problématiques de Dorothy provenait de cet assemblage fragile qui ne supportait pas toujours la vitesse de la machine.

Il est dit que c’est armée de colle spéciale, d’une pince chaude et de craie française qu’elle trouva un moyen de renforcer les rubans. 💪

Contre-la-montre

L’ingénieur Thomas Flower, qui a conçu la série Colossus, a déclaré que Bletchley Park avait changé le cours de l’histoire et que malgré les éloges, certes bien mérités, on ne mentionnait pas assez le travail acharné qui fut réalisé par les équipes en un an pour pouvoir être opérationnel le jour J.

Concrètement, c’est grâce au travail acharné des filles WRNS et de Dorothy Du Boisson, que la version améliorée du Colossus (donc le Mark II), a pu être conçue et rendue opérationnelle avant le jour J, le 6 juin 1944, jour du Débarquement de Normandie.

Eisenhower a déclaré que sans ce travail, la guerre aurait duré au moins deux ans de plus.

3/ Derrière chaque grand homme, se cache une grande femme

Joan Clarke (1917 - 1996)
Joan Clarke (1917 – 1996)

On reste en Angleterre avec Joan Elisabeth Lowther Murray Clarke, née le 24 juin 1917 pour cette histoire qui se passe également à Bletchley Park.

Joan a d’abord fréquenté la Dulwich High School for Girls avant d’aller étudier à Cambridge, au Newnham College grâce à l’obtention d’une bourse en 1936. Elle y sort avec un double diplôme en mathématiques.

C’est à Cambridge, pendant un cours de géométrie de premier cycle qu’elle est repérée par Gordon Welchman. Il faisait partie des meilleurs mathématiciens à avoir été sollicités pour travailler à Bletchley Park, en 1939, en tant que superviseur des opérations de décodage.

Il a donc recruté Joan pour qu’elle rejoigne la GC&CS en 1940, qui œuvrait au décryptage des machines de Lorenz mais aussi d’Enigma.

Recrutement au sein de la GC&CS ⚡️

Grâce à son travail et à sa persévérance, Joan rejoint rapidement la section Hutte 8. Cette section était directement supervisée par Alan Turing, Hugh Alexander et Peter Twinn.

La Hutte 8 avait pour mission le décryptage des messages chiffrés de la Kriegsmarine (marine de guerre allemande) sur la machine Enigma.

Enigma, créée par Arthur Scherbius en 1919, servait à chiffrer les communications du Troisième Reich durant la Seconde Guerre mondiale.

Si ça vous intéresse, voici une vidéo qui explique son fonctionnement.

Joan Clarke, en étroite collaboration avec Alan Turing a consacré une majeure partie de son temps sur les machines « Bombe » s’inspirant de l’invention développée par le mathématicien et cryptologue polonais Marian Rejewski entre 1932 et 1938.

La déduction des réglages quotidiens d’Enigma n’était plus faisable manuellement. Les combinaisons possibles étaient bien trop nombreuses et le temps manquait cruellement à l’équipe.

Les Bombes 💣

Le projet était alors d’améliorer cette invention afin de déchiffrer plus rapidement les récents codes des Allemands. En effet ils avaient changé les règles de chiffrement.

Ces machines améliorées auraient été nommées « Bombe », en rapport avec les bruits qu’elles produisaient pendant les phases de calcul.

Elles étaient d’ailleurs considérées comme les premiers ordinateurs de l’histoire.

C’est donc en 1941, que la Hutte 8 a commencé à utiliser une méthode de cryptanalyse développée par Turing.

Joan Clarke était l’une des rares personnes, et l’unique femme à utiliser le Banburismus. Sa contribution a permis d’accélérer la résolution des signaux navals ennemis, très difficiles à déchiffrer.

Cette méthode, le Banburismus, utilisait la probabilité conditionnelle séquentielle pour déduire des corrélations pondérées et déterminer les réglages du rotor à tester sur les Bombes, qui étaient trop peu nombreuses. Cela permettait d’accélérer le processus et de travailler sur plus de messages.

On utilisait des feuilles sur lesquelles a été inscrit l’alphabet, par colonnes successives. Le message chiffré (un assemblage de lettres) était alors perforé, colonne par colonne, avec des décalages de -25 à +25. Ensuite, on comparait les feuilles, 2 à 2.

Les travaux de Joan Clarke lui ont valu d’être décorée en 1947 et d’être faite membre de l’Ordre de l’Empire britannique.

Malheureusement, l’étendue de ses réalisations reste inconnue. Que ce soit à cause de sa relation avec Alan Turing (que nous n’avons pas évoquée ici) ou de l’Official Secrets Act, une législation qui protège les secrets d’État en matière de sécurité nationale.